Skip to main content

166 000 ou 7 000 euros : la justice tranche sur les nuisances sonores d'une salle de spectacle

Dans une décision du 3 juillet 2024, la Cour administrative d'appel de Bordeaux a estimé que les mesures mises en place par le  maire pour faire cesser les nuisances sonores générées par une salle de spectacle n'étaient pas suffisantes, notamment en vertu du rapport d'expertise. Les riverains demandaient 166 000 euros en réparation de leurs divers préjudices. Ont-ils obtenu réparation ?

En 2009, une communauté d'agglomération confie à une association l’exploitation d’une salle de spectacle pouvant accueillir 1 200 personnes, par contrat de délégation de service public. Un couple de voisins, gênés par le bruit, fait part des nuisances qu'il subissent à la mairie. L'entrée et la sortie des clients dans la salle de concert provoque en effet des nuisances sonores importantes leur causant un préjudice moral fort, des effets sur leur santé, et un préjudice de jouissance (ils ne peuvent pas pleinement jouir de leur maison). N'obtenant pas satisfaction, ils demandent portent leur plainte devant le tribunal administratif de Poitiers, demandant à ce que soient condamnés la commune, l'association mais aussi l'Etat et la communauté d'agglomération à leur verser environ 180 000 euros en réparation des préjudices. Ils demandent également à ce que les responsables soient enjoints de faire les travaux nécessaires pour faire cesser les nuisances.

Un rapport d'expertise obtenu par référé préconisait en effet de faire réaliser des travaux entre l'établissement et la propriété des riverains, qui consistaient en la désolidarisation des subwoofers et de la structure ainsi que le renforcement de l'isolation acoustique, avec l'installation de limiteurs plus contraignants sur les basses fréquences. Le rapport constate également qu'aucune Etude d'impact des Nuisances Sonores (EINS) n'avait été réalisée avant l'inauguration de l'établissement.

Dans un premier jugement de 2022, le tribunal administratif condamne la commune à leur verser une indemnité de 7 000 euros.

Mécontents du jugement puisqu'on est bien loin des 180 000 euros demandés, les riverains font appel, pour cette fois-ci demander aux responsables le versement de plus de 166 000 euros en réparation de leurs divers préjudices. Ils demandent aussi à ce que les travaux d'isolation soient réalisés dans un délai de deux mois et sous astreinte de 200 euros par jour de retard, et qu'un mesurage acoustique ainsi qu'une nouvelle étude soient faits pour vérifier l'efficacité des travaux.

Les riverains reprochent notamment : 

  • au maire de ne pas leur avoir garanti la tranquillité publique au titre de ses pouvoirs de police, par son inaction ; 
  • au Préfet (c'est en ce sens que la responsabilité de l'Etat est engagée), de ne pas avoir assuré la préservation de la tranquillité publique bien qu'au courant de l'affaire ;
  • à l'association exploitante de ne pas avoir fait réaliser d'EINS ;
  • à la communauté d'agglomération, en sa qualité de délégataire de service public, de ne pas avoir veillé à ce que l'EINS soit faite. En outre, la communauté d'agglomération et l'association ne se sont pas engagées, ni au cours de l'expertise ni après le dépôt du rapport d'expertise, à faire les travaux nécessaires, la communauté d'agglomération ayant même décidé de l'augmentation de la capacité d'accueil de l'établissement !

Le maire se défend en montrant qu'il prend la lutte contre les bruits de voisinage très au sérieux, notamment par la prise d'un arrêté municipal de lutte contre le bruit en 2008, et par l'élaboration d'un PPBE (Plan de Prévention du Bruit dans l'Environnement) par l'agglomération. Sur place, le maire a même fait éloigner l'arrêt de bus des habitations, créé un parking excentré destiné à la clientèle de la salle, et sensibilisé le public au respect du voisinage. Il affirme également que lorsque les plaignants se sont installés, le quartier était déjà bruyant. Enfin, il rappelle que la salle ne produit des concerts qu'à des moments épisodiques, et que par conséquent, la période d'exposition à ces bruits extérieurs n'a pu excéder vingt minutes.

Par une décision du 3 juillet 2024, la Cour d'appel revient sur les différentes responsabilités des parties prenantes, ainsi que sur le montant de la réparation du préjudice. Sont-ils fautifs, et s'ils le sont, leur faute est-elle à l'origine du préjudice moral, de santé et matériel du couple de riverains ?

La responsabilité de la commune (maire)

Pour la Cour, le maire est bien responsable de ne pas avoir pris de mesures suffisantes pour faire cesser le trouble. pour reconnaître le trouble, le juge se repose totalement sur le rapport d'expertise, qui préconisait notamment la réalisation de travaux d'isolation. Le maire n’a donc pas pris les mesures appropriées pour prévenir les nuisances sonores susceptibles de porter atteinte à la tranquillité publique des voisins de la salle. Cette carence fautive est de nature à engager la responsabilité de la commune à l'égard des requérants.

Sur le dépassement des seuils d'émergence, la Cour juge que compte tenue du nombre de spectateurs accueillis par l'établissement, aux précisions apportées par le rapport d'expertise et aux divers témoignages produits et recueillis par l'expert, la durée d'émergence doit être regardée comme perdurant pendant plus de vingt minutes. Ainsi, l'émergence globale mesurée, corrigée de 3 dB (A) correspondant à cette durée d'exposition, excédait le seuil règlementaire de 3 dB(A) fixé par la réglementation (Code de la santé publique).

La responsabilité de l'association exploitante

Même si l'association ignorait qu'elle devait réaliser une EINS, elle avait tout de même fait réaliser une étude acoustique en 2011, puis une étude d'impact en 2019. L'absence d'EINS n'a pas d'impact sur les dommages causés aux riverains par le bruit excessif causé par les clients à la sortie de la salle. La Cour juge donc que l'association ne devra pas verser les sommes demandées en réparation du dommage.

La responsabilité de l'Etat (Préfet)

Fautif, le Préfet aurait du veiller à la réalisation de l'EINS (article L521-28 du Code de l'environnement). Toutefois, comme pour l'association exploitante, l'absence d'EINS n'a pu avoir davantage d'incidences sur le dommage causé. De plus, le rapport d'expertise ne relève pas de dépassement des valeurs d'émergence : le Préfet n'a donc pas commis de faute en gardant le silence. La Cour rappelle que c'est au maire qu'il appartient de faire respecter la réglementation encadrant les bruits de voisinage, en mettant en œuvre ses pouvoirs de police générale (articles L2212-1 et L2212-2 du Code général des collectivités territoriales). 

La responsabilité de la communauté d'agglomération

La convention de la délégation de service public n'imposait pas à la communauté d'agglomération de vérifier la réalisation par l'association d'une EINS. Elle imposait en revancheà l'association de respecter les règlements et consignes applicables aux établissements recevant du public en matière de sécurité et de salubrité. Il n'appartenait pas à la communauté d'agglomération de faire nécessairement figurer à ce titre la prescription d'une telle étude dans la convention. Il ne lui incombe pas davantage, en sa qualité de délégante, d'imposer à l'exploitant la mise en œuvre des solutions techniques préconisées par l'expert. Par conséquent, le juge ne reconnait pas la faute de la communauté d'agglomération.

Conclusion

La Cour d'appel, même si elle reconnait le préjudice, considère que le montant de 7 000 euros requis par le tribunal administratif est à la hauteur du préjudice subi, compte tenu des conclusions du rapport d'expertise. Elle rejette donc l'appel des riverains. En effet, les nuisances perdurent depuis 2011, mais leur périodicité dépend de la programmation de l'établissement et ne sont donc pas constantes. En complément, la Cour demande à la commune de régler les frais d'expertise.

Bruits de voisinage : la nécessaire gestion integrée du maire

Principal acteur de la qualité de l’environnement sonore au niveau local, le maire dispose de prérogatives relativement étendues pour gérer le bruit sur son territoire, et ne sait pas toujours comment les mettre en oeuvre. Constats, résolution amiable, sanctions… Le prochain colloque national du CidB réunira des experts du sujet autour d'une table ronde, l’occasion d’un tour d’horizon des pratiques actuelles de traitement par les maires des réclamations des habitants.

  • Colloque "Les bonnes pratiques de gestion du bruit par les collectivités"
  • Jeudi 14 novembre 2024, 8h45-17h
  • Paris, Maison des Travaux Publics (75)
  • Programme et inscriptions ici

 

Source : CAA de Bordeaux, 3ème chambre, 3 juillet 2024, 22BX02443CAA

Une question sur le bruit ?