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L'architecte doit informer le maître d’ouvrage de l’entrée en vigueur d’une nouvelle norme acoustique

L’architecte qui manque à son devoir de conseil en ne signalant pas une nouvelle norme acoustique engage sa responsabilité contractuelle. Par un arrêt du 10 décembre 2020, les juges sont une nouvelle fois très exigeants avec le devoir de conseil des maîtres d’œuvre. Nous vous proposons une analyse de cette jurisprudence récente.
devoir de conseil de l architecteEn 1998, une commune du nord de la France fait appel à un architecte de la région pour la conception de sa nouvelle salle polyvalente "à vocation principalement festive". En 1999, la commune réceptionne les travaux sans réserve. Mais elle réalise par la suite que la salle polyvalente ne répond pas aux nouvelles normes acoustiques de 1998. Elle reproche alors à l'architecte de ne pas l'avoir prévenu de l'entrée en vigueur de cette nouvelle réglementation lors des opérations de réception de la salle. Ce texte majeur, c'est l'arrêté du 15 décembre 1998 (pris en application d'un décret de la même année) qui fixe des règles acoustiques pour les locaux recevant du public et diffusant à titre habituel de la musique amplifiée).
 
La commune demande donc réparation auprès du tribunal administratif, qui condamne l'architecte à verser 111 970 euros à la commune ainsi que les frais d'expertise (la commune en demandant plus du double). L'architecte conteste ce jugement devant la cour administrative d'appel qui le condamne cette fois-ci à verser une somme plus conséquente. La Cour d'appel condamne également la commune à payer une partie des frais d'expertise à hauteur de 20%. L'architecte décide alors de porter sa plainte jusqu'au Conseil d'État.
 
Pour l'architecte, la commune, en tant qu'autorité de contrôle, était censée être au courant de l'entrée en vigueur d'une toute nouvelle réglementation.
Le Conseil d'État donne une nouvelle fois raison à la commune : les maîtres d'œuvre peuvent effectivement être reconnus responsables pour manquement à son devoir de conseil, "dès lors qu'ils se sont abstenus d'appeler l'attention du maître d'ouvrage sur des désordres affectant l'ouvrage et dont ils pouvaient avoir connaissance, en sorte que la personne publique soit mise à même de ne pas réceptionner l'ouvrage ou d'assortir la réception de réserves. Ce devoir de conseil implique que le maître d'œuvre signale au maître d'ouvrage l'entrée en vigueur, au cours de l'exécution des travaux, de toute nouvelle réglementation applicable à l'ouvrage, afin que celui-ci puisse éventuellement ne pas prononcer la réception et décider des travaux nécessaires à la mise en conformité de l'ouvrage."
 
En bref, le maître d'œuvre doit informer le maître d'ouvrage des éléments dont l'impact sur le projet est tel qu'ils pourraient influencer sa décision finale de réceptionner ou non les travaux (une nouvelle réglementation acoustique qui rendrait l’ouvrage non-conforme dès sa sortie de terre par exemple).
 

Un devoir de conseil toujours plus sévère

 
A travers le programme des opérations, le maître d'ouvrage (en l’espèce la commune) définit les objectifs de son projet de construction, ses exigences et ses besoins. Le maître d'œuvre doit prendre en compte ce programme, mais doit l'alerter sur les insuffisances techniques et financières du programme s'il y en a. Le maître d'œuvre doit même interroger de manière approfondie le maître d'ouvrage sur ses attentes. C'est son devoir de conseil.  L’architecte a donc intérêt de se constituer des preuves écrites de toutes les informations qu’il a transmis à son client.
 
La jurisprudence est sévère. Elle reconnait la responsabilité du maître d'œuvre à maintes reprises : 
  • Dans le cadre de la construction du tramway de Bordeaux, la Cour administrative d’appel avait relevé que les désordres n’étaient apparents ni au cours du chantier ni à la réception. Mais le Conseil d’État est allé plus loin en considérant que les juges d’appel auraient dû vérifier si le maître d’œuvre aurait pu avoir connaissance des désordres s’ils avaient accompli leur mission selon les règles de l’art (Conseil d'État, 7ème chambre, 8 janvier 2020, n° 428280) ;
  • L'architecte n'avait pas informé le maître d'ouvrage que la conception d'un hall d'exposition impliquait le transport de charges lourdes à l'aide d'engins. L'architecte aurait dû lui conseiller de faire des travaux supplémentaires. Au passage des chargeurs, les dalles du sol n'avaient pas survécu (Cassation, civ. 3e, 2 juin 2016, n° 15-16.981).
Dans cette récente affaire, le juge va encore plus loin : il étend le devoir de conseil du maître d’œuvre à l’information sur l’actualité réglementaire et normative en vigueur ! Cela oblige le maître d’œuvre de se tenir au courant des règlementations et normes en vigueur, y compris en matière d’acoustique. La méconnaissance de ces règles peut se payer plus tard.
 
Mais attention, le maître d'ouvrage ne peut pas dénoncer un manquement au devoir de conseil pour des faits qui sont connus de tous ou connus du maître d'ouvrage avec évidence (sur le contenu d'un permis de construire : Cassation, 3e civ., 14 janvier 2009, n° 07-20.245 ; sur les projets futurs du maître d'ouvrage qu’il n’avait communiqué à personne : Civ. 3, 18 déc. 2013, n° 12-27.738).
 

La commune était-elle au courant ?

Dans le cas où le maître d'ouvrage est une collectivité publique, l'architecte a le même devoir de conseil (sur des défauts d’irrigation sous un parcours de golf : Conseil d'État, 7ème et 2ème sous-sect. réunies, 28 janvier 2011, n° 330693). Toutefois, la responsabilité de la collectivité sera plus facilement retenue par le juge dans la mesure où l'on considère qu'une personne publique est une personne avertie, surtout s’il s’agit de l’État (Conseil d'Etat, 7 mars 1980, n°11568).

En l’espèce, le Conseil d'Etat a confirmé la décision de la Cour d'appel : la commune était censée être au fait de la nouvelle réglementation. Mais aucun reproche ne pouvait lui être adressé dans l'estimation de ses besoins ou dans la conception du marché. C’est à ce titre que la commune est condamnée à payer seulement 20 % des frais d’expertise. 

Décision du Conseil d'État, 10 décembre 2020, n°432783

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