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Comment livrer silencieusement la nuit ? La solution du label Certibruit

Des initiatives de logistique responsable, comportant un volet de maîtrise du bruit, se développent. C’est le cas de la démarche « livraisons de nuit respectueuses des riverains » mise en place par l’association Certibruit, et à laquelle nous avons consacré une vidéoconférence, le mardi 11 juin 2013. Synthèse de la conférence.

Conférence en ligne organisée dans le cadre du Club Décibel Villes - Mardi 11 juin 2013

Lire le programme (format pdf - 790 Ko)

Synthèse

En quoi la livraison de nuit constitue-t-elle une réponse logistique au transport de marchandises ? Quelles solutions silencieuses peut-on mettre en œuvre ? Et à quel coût ? Comment les mairies peuvent-elles accompagner les enseignes vertueuses dans la mise en place de telles démarches ? Autant de questions que cette conférence en ligne a abordé de manière concrète, à travers les témoignages de la Ville de Paris et d’acteurs de la chaîne logistique. 

L’approvisionnement des centres villes en marchandises s’accompagne parfois de nuisances sonores, des situations de conflit avec le voisinage souvent complexes à résoudre. Qui plus est, à l’instar des autres pans de l’économie, le secteur du fret urbain se doit de réduire son empreinte écologique, ses émissions de gaz à effet de serre en premier lieu. Depuis une décennie environ, des initiatives de logistique durable se développent. Un certain nombre d’entre elles sont fondées sur le concept de livraison nocturne. Les avantages sont doubles : optimiser les flux de livraison la nuit et fluidifier la circulation le jour. D’aucuns diront que de vouloir livrer la nuit sans réveiller les habitants relève au mieux de la gageure, au pire de la démarche insensée. Pour nous convaincre du contraire, pour voir comment les livraisons de nuit peuvent participer d’une démarche responsable et maîtrisée, le Club Décibel Villes a souhaité se faire l’écho du label « livraisons de nuit respectueuses des riverains » mis en place par l’association Certibruit. A l’heure du déploiement effectif du label et de sa reconnaissance publique, il nous a semblé important que le Club Décibel Villes communique sur cette démarche.

Nuisances sonores et livraisons : panorama qualitatif de la plainte

Au sein du référentiel Certibruit, le CIDB anime une permanence téléphonique destinée à recueillir les plaintes. Philippe Strauss, chargé de mission au CIDB, a dressé un panorama qualitatif des plaintes et du contexte particulier des conflits de voisinage liés aux livraisons (voir vidéo ci-dessous, contenu réservé aux membres du Club Décibel Villes).

Enregistrement vidéo de la présentation de Philippe Strauss (8 min 45 sec) :

Pour mieux livrer, livrons la nuit, mais sans bruit

Eric Devin, Directeur des Opérations et du Développement au Cemafroid, le centre d’expertise de la chaîne du froid, et président de l’association Certibruit, a présenté le « pourquoi et le comment » du label Certibruit pour la « livraison de nuit respectueuse des riverains et de l’environnement ». Après un bref historique de l’initiative, il a précisé les rôles de chacun au sein du dispositif, ainsi que les engagements des sites signataires. Il a notamment souligné les spécificités de la certification acoustique PIEK, avant de conclure par un point d’étape du développement de la démarche.

A la lumière d'une phase d'expérimentation menée depuis 2009, la profession est arrivée à la conclusion qu’il était possible de livrer la nuit sans gêner les riverains, mais au prix de la prise en compte d’une multitude de détails, pas forcément très complexes, mais qu’il convenait d’intégrer au sein d’une démarche globale.

Les professionnels concernés, des représentants de riverains et des municipalités ainsi que des experts se sont réunis en 2011 et 2012 pour élaborer un label permettant d’informer les riverains et les municipalités sur les efforts mis en œuvre par les restaurants ou les commerces qui souhaitent ou qui ont recours à la livraison de nuit dans le respect des riverains. Cette communauté d’intérêt s’est constituée en association « CERTIBRUIT » créée le 20 mars 2011 par le Cemafroid, le CIDB et le LNE (membres du CA). L'association Certibruit a été ensuite rejointe par le club Demeter et France Nature Environnement.

Pour les professionnels qui veulent entrer dans la démarche, la charte implique trois obligations de moyens : l’utilisation d’engins innovants et silencieux, certifiés PIEK ; des personnels sensibilisés à des pratiques respectueuses des riverains ; des sites adaptés, en termes d’accès notamment, intégrant éventuellement des solutions de traitement acoustique, selon le bilan de la visite d’admission effectuée en tout début de démarche. Chacun de ces trois volets d’exigences est associé à un système de notation. Il y a aussi une obligation de résultat : ne pas déranger les riverains. Pour que la voix du riverain puisse se faire entendre, une ligne téléphonique indépendante dédiée aux plaintes a été créée (assurée par le CIDB). Afin d’assurer la pérennité des engagements pris par les signataires de la charte, des évaluations périodiques réalisées par une tierce partie sont réalisées, ces audits pouvant, le cas échéant, se traduire par une perte du label. Le suivi en continu porte également sur les indicateurs environnementaux et l’information des riverains.

 Enregistrement vidéo de la présentation d'Eric Devin (22 min 5 sec) :

Le témoignage de la Ville de Paris

En matière de logistique urbaine, rien ne peut se faire sans la coopération des villes. Ce sont elles notamment qui fixent les horaires autorisés pour les livraisons. La conférence a donc débuté par le témoignage d’une ville, la ville de Paris, au demeurant membre du Club Décibel Villes. Alain Hermann, ingénieur à la division logistique urbaine de la Ville de Paris, s’est exprimé sur les raisons qui ont amené cette collectivité à s’impliquer dans une démarche de livraisons de nuit. En 2002, la Ville de Paris a initié une large concertation avec l’ensemble du monde professionnel, à savoir les fédérations de transporteurs, les transporteurs eux-mêmes, les gestionnaires de réseaux que sont SNCF, RFF et RATP et des chambres consulaires. Le but : jeter les bases d’une amélioration de la logistique en ville. Cet état des lieux s’est avéré assez alarmant : le secteur du transport de marchandises consomme environ 50% du diesel en ville, émet 30% du CO2. Il s’agissait donc d’étudier les moyens de réduire les impacts négatifs des camions. Parmi ces externalités négatives, figurent bien sûr l’ensemble des polluants, mais il faut aussi y inclure l’insécurité routière, la congestion du réseau et le bruit. Il faut savoir qu’à Paris, les échanges commerciaux représentent 360000 livraisons par jour. Qui plus est, ces flux sont essentiellement concentrés sur la période du matin, qui correspond au pic de congestion des véhicules particuliers. Un bilan donc très défavorable pour le camion en ville, tant pour ses externalités négatives que pour son acceptabilité par le riverain. Cette concertation se devait de s’inscrire dans une dynamique d’action. En 2006, dans le cadre d’une charte d’engagement, chacun des partenaires s’est engagé à prendre des mesures vertueuses. Pour sa part, la Ville de Paris s’est impliquée sur le plan réglementaire, avec notamment l’instauration d’un règlement marchandises, qui définit des horaires de livraison fonction des catégories de véhicules. Paris a aussi initié des actions innovantes. Parmi celles-ci, en partenariat avec le Club Demeter, la Ville a mené une expérimentation du concept de livraison de nuit. Les mesures acoustiques de niveau de bruit maximum LAmax se sont montrées concluantes et ont encouragé à poursuivre dans cette voie. Tant et si bien que la charte 2013, charte qui sera rendue publique dans quelques semaines, est devenue une charte de projets, et non plus seulement une charte d’engagements. Chaque projet fait l’objet d’une fiche projets, au sein de laquelle sont précisés le porteur du projet, les partenaires, les objectifs à atteindre et les échéances. L’un de ces projets, validé notamment par le Maire de Paris Bertrand Delanoë, concerne la labellisation Certibruit des magasins qui en seraient volontaires. Cette volonté politique de la Ville, cette dynamique d’engagement, nous donne des raisons de croire aux vertus de cet étalement dans le temps, jusque dans la nuit, ou très tôt le matin, de livraisons qui jusque là s’effectuaient en plein pic de trafic et de pollution. En contrepartie de cet étalement des livraisons, les transporteurs et les enseignes s’engagent à n’utiliser que des camions moins bruyants certifiés PIEK, et à former leur personnel, conducteurs livreurs et gérants de magasins. En cas de plainte éventuelle de riverains, c’est une organisation interne au dispositif Certibruit qui se chargera d’aller vérifier si le magasin labellisé respecte les engagements de la charte ou non. En matière d’horaires de livraison, la réglementation en vigueur depuis le 1er janvier 2007 est assez simple : en deçà de 29 m2, on peut livrer de 22 heures à 17 heures. Si ce camion de 29m2 est labellisé PIEK, il peut même livrer toute la journée. Quant au semi remorque (de plus de 29 m2), il peut livrer entre 22h00 et 7h00 heures du matin. Mais cette politique de restriction d’horaires, qui ne s’applique qu’à Paris, gagnerait grandement en efficacité si une cohérence avec les horaires en vigueur dans les communes limitrophes pouvait être trouvée. C’est la raison pour laquelle l’intégration à la charte comporte un volet consacré à l’harmonisation des restrictions d’horaires. Concrètement, sans aller jusqu’à exiger que chaque commune adopte les mêmes réglementations, on s’arrange pour qu’il n’y ait pas de frein, de contradiction majeure, pour un transporteur qui traverserait l’Ile-de-France. Au chapitre des gains environnementaux de ce report d’une partie des livraisons sur la période de nuit, pour disposer d’une estimation convaincante, il faudra attendre de connaître, d’une part, le nombre de candidats qui vont s’engager dans la démarche et, d’autre part, le type de chaîne logistique que ces transporteurs vont mettre en œuvre pour se conformer au dispositif. Quoi qu’il en soit, les campagnes ayant servi à l’expérimentation de la démarche « livraisons de nuit respectueuse des riverains » ont livré quelques enseignements. Notamment, le constat a été fait que certains transporteurs, plutôt que d’envoyer deux ou trois transporteurs dans la journée, se contentent d’un seul semi-remorque le soir. Avec de tels ratios, on est sur des gains très significatifs aussi bien en termes d’émissions de CO2 et de polluants, mais aussi en termes d’accidentologie. Dans le cadre de Certibruit, un travail spécifique programmé pour 2014 s’intéressera à la signature environnementale des engins de transport la nuit. A signaler tout de même que la charte Certibruit comporte un engagement portant sur l’obligation de justifier au moins la tenue d’indicateurs environnementaux, en termes d’émission de CO2 notamment, et de faire en sorte que l’association Certibruit puisse agréger ces données. Car il faut savoir que des structures centralisées telles que Martin Brower ont la capacité de collecter des données environnementales, acquises notamment au gré de l’adhésion à des chartes. Au nombre de celles-ci, on citera notamment la Charte « Objectif CO2 : les transporteurs s’engagent ». Quoi qu’il en soit, c’est une attente forte de la part des collectivités que de connaître l’impact environnemental du redéploiement des livraisons sur la période de nuit.

Enregistrement vidéo de la présentation d'Alain Hermann (10 min 25 sec) :


Le point de vue du transporteur : le cas Martin Brower/McDonald’s

Gérard Divaret, directeur technique de la société Martin Brower – le transporteur des restaurants McDonald’s – a présenté sa vision du dispositif. Associée à la démarche Certibruit dès son lancement il y a deux ans, et même avant, à travers des expérimentations menées en partenariat avec le Club Demeter et le constructeur Fraikin, la société Martin Brower a participé à une campagne d’expérimentation lancée en 2012, qui a porté sur deux restaurants McDonald’s. PIEK est une initiative née aux Pays-Bas et basée sur un protocole de mesure acoustique original, puisqu’il ne prend pas en compte un niveau sonore moyen, mais s’intéresse aux pics de bruit, à travers l’indicateur de niveau de bruit maximal LAmax, et ce pour tous les organes mécaniques utilisés lors des livraisons (groupes frigorifiques compris). Cette étude a mis en évidence que l’usage de ces matériels, en limitant le nombre et l’intensité des pics de bruit perçus par les résidents, permettait d’envisager les livraisons de nuit en milieu urbain. La livraison de produits frais ou congelés correspond au contexte le plus défavorable en termes d’impact sonore, puisqu’on a généralement affaire à des gros porteurs, parfois même à des semi-remorques multi-températures. De fait, qui dit camion frigorifique, dit nécessité d’un deuxième moteur, qui ajoute encore du bruit au bruit. De plus, le camion frigorifique a la particularité d’être confronté à des limites techniques pour passer à des technologies de type hybride ou électrique. Heureusement, les acteurs de la logistique se sont impliqués, comme par exemple le transporteur Martin Brower ou le constructeur-loueur Fraikin, tant et si bien que des progrès significatifs ont été accomplis. Le parc de camions labellisés PIEK en France peut être estimé à environ mille camions. Pour Martin Brower, dans le cadre d’un partenariat avec le constructeur-loueur Fraikin, 100% des nouvelles entrées de véhicules correspondent à du matériel certifié PIEK. Compte tenu du rythme actuel de renouvellement de la flotte chez Martin Brower, un total de 80 véhicules PIEK sera atteint à la fin 2013. Gérard Divaret, directeur technique de la société Martin Brower, considère que le surcoût d’un camion labellisé PIEK se situe entre 12 et 15% du coût d’un camion standard. Martin Brower et son client McDonald’s se sont engagés ensemble dans la démarche Certibruit. A ce jour, deux restaurants ont obtenu le label. Pour le transporteur, il ne suffit pas d’acquérir des camions et du matériel certifié PIEK : il faut aussi former le personnel et entretenir le matériel. Non entretenu, un transpalette aux normes PIEK a toutes les chances de ne plus respecter les exigences. Chez Martin Brower, l’acquisition du premier semi-remorque PIEK remonte à 2009. En 2010, l’entreprise de transport a lancé le Keytruck, premier camion électrique de 12 tonnes de PTAC. Cet engin permet les livraisons sous température dirigée en zone urbaine. Il dispose d’un système de caisses mobiles certifiées PIEK, permettant de générer, lors de la livraison des restaurants, un niveau sonore inférieur à 60 dB. Le domaine du froid alimentaire, où les opérateurs ont l’habitude d’appliquer des procédures très formelles relatives au respect de la chaîne du froid, constitue un contexte favorable à l’adoption de procédures relatives au bruit. Les restaurants McDonald’s n’ont d’ailleurs pas attendu le référentiel Certibruit pour formaliser des procédures permettant la prise en charge d’une plainte de riverain.

Enregistrement vidéo de la présentation de Gérard Divaret (5 min 15 sec) :

Les efforts des constructeurs de matériel roulant : l’exemple de Fraikin

Ce panorama s’est terminé par un film réalisé par le constructeur loueur Fraikin, société également impliquée dans Certibruit depuis plusieurs mois. Cette vidéo présentait de manière concrète les améliorations qu’il est possible de réaliser au niveau des camions afin de limiter l’impact sonore d’une activité de livraison.

Les Espaces logistiques urbains et leur complémentarité avec les livraisons de nuit

A Paris, la municipalité a réussi à implanter des Espaces logistiques urbains (ELU, petites plateformes logistiques intégrée en centre-ville) dans quelques parkings publics. Il s’agit de surfaces dédiées, qui n’empiètent pas sur la zone allouée au prestataire gérant du parking dans le cadre de la délégation de service public. Mais ces espaces très contraints – entre 200 à 600 m2 tout au plus, faible hauteur sous plafond, contraintes réglementaires liées au statut d’ERP) – ne s’adressent qu’à de la petite logistique (plis, petit colis). Pour autant, le gain est conséquent : il permet le groupage-dégroupage, la massification des arrivées de colis avec un camion traditionnel (pour ceux toutefois qui peuvent rentrer dans le parking). Une fois le tri réalisé, des véhicules propres (tricycles électriques, cargo cycles à assistance électrique, quadricycles électriques et véhicules utilitaires légers électriques) viennent assurer la livraison au destinataire final. L’avantage : des véhicules décarbonés, qui s’insèrent facilement dans lac circulation, sans émission sonore ni rejet de polluants. La livraison de nuit constitue donc un élément de massification vers un ELU qui permet ensuite une livraison douce pouvant être réalisée de jour. C’est une solution à envisager notamment pour l’approvisionnement des petits commerces, lesquels ont rarement les ressources humaines pour dédier une personne à l’accueil du livreur la nuit.

Enregistrement vidéo de la discussion sur le thème des espaces logistiques urbains (8 min 45 sec) :

Pour tous renseignements sur la démarche Certibruit : www.certibruit.fr

 

 

Une question sur le bruit ?