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Jurisprudence : principe de non-régression et restriction des vols de nuit

Le 9 juillet 2021, le Conseil d'Etat a pris une décision cruciale en faveur de la lutte contre les nuisances sonores. Au nom du principe de non-regression, il a annulé un arrêté ministériel permettant de déroger à l'interdiction de vols de nuit à l'aéroport de Beauvais. Les juges ont rappelé ce principe général et fondateur, selon lequel la protection de l'environnement, et donc de l’environnement sonore, doit toujours faire l'objet d'une amélioration constante. 

avion au decollageRappel des faits

En 2002, le ministre en charge des transports avait interdit par arrêté aux avions d'atterrir ou de décoller à Beauvais entre minuit et cinq heures sur l'aire de stationnement, ainsi qu’entre 22 heures et sept heures du matin pour les avions les plus bruyants. En 2019, la publication d’un nouvel arrêté permet au ministre chargé de l'aviation civile d'autoriser au cas par cas des dérogations à cette interdiction d'atterrissage nocturne. Sont visés les avions effectuant des vols réguliers de transport de passagers et performant d'un point de vue acoustique, dont le dernier atterrissage est prévu entre 21 heures et 23 heures et dont le décollage est prévu le lendemain après 5 heures. Cette possibilité de déroger aux horaires de nuit devait permettre, selon les conclusions des associations de défense contre les nuisances sonores, de mettre à disposition d’une compagnie aérienne, une base d'exploitation pour y faire stationner les avions la nuit. Les avions de cette compagnie pouvaient ainsi atterrir tardivement sur cette zone et redécoller de cette même zone le lendemain matin. Les associations de défense ont immédiatement demandé l'annulation de cet arrêté modificatif.

Par une décision du 9 juillet 2021, le Conseil d'Etat donne raison aux associations requêrantes : l'arrêté est annulé et ces dernières sont dédommagées à hauteur de 700 euros chacune (elles en avaient demandé 1000). Pour les juges, l'arrêté modificatif ne limite d'aucune manière le nombre de ces dérogations pouvant être délivrées par voie ministérielle. Par ailleurs, cette possibilité de déroger à des restrictions de vol n'est justifié par aucun motif d'intérêt général. En prenant cet arrêté, l'administration méconnait par conséquent le principe de non-régression. 

Les vols nocturnes, limités par la loi

Pour garantir la tranquillité publique, l'utilisation d'un aérodrome ouvert à la circulation aérienne publique peut, à toute époque, être soumise à certaines restrictions, voire être temporairement interdite (article R221-3 du Code de l'aviation civile). De plus, des restrictions peuvent également être imposées par arrêté aux aérodromes les plus importants, à savoir ceux soumis à la taxe sur les nuisances sonores aériennes. Ces restrictions sont spécifiques à chaque aérodrome concerné, en tenant compte notamment de l'urbanisme environnant et des procédures de navigation et de conduite de vol (article R227-8 du Code de l'aviation civile). Les procédures de vol peuvent également limiter le survol des communes à une certaine altitude ou permettre de contourner certaines communes situées dans l’axe des pistes. Enfin, des plans de gêne sonore (PGS) établis en fonction du trafic des différents aéroports définissent les zones ouvrant droit à une aide à insonorisation pour les riverains exposés au bruit. En savoir plus

Un pas en faveur de la lutte contre les nuisances sonores aériennes

Par cette récente décision du Conseil d’Etat, les juges administratifs incluent expressément l'environnement sonore dans l'environnement au sens large. Et la lutte contre les nuisances sonores comme partie intégrante de la protection de l'environnement. D’autres cas de jurisprudence pourraient ainsi voir le jour…

Autre apport de cet arrêt important : Le principe de non-regression est ici appliqué à la protection de l'environnement sonore. Il constitue l'un des principes généraux du droit de l'environnement en France, selon lequel la protection de l'environnement ne peut faire l'objet que d'une amélioration constante, jamais d'une aggravation (article L110-1 du Code de l'environnement). Ainsi, l’administration ne peut pas modifier une réglementation environnementale sans qu’elle ne vise à l’améliorer.

Dans le cas où des associations de défense de l’environnement invoqueraient ce principe pour contester un texte modificatif, le juge devra déterminer si ce texte a pour effet ou pour objet d’aggraver la loi existante. D’ailleurs, dans une affaire d’éoliennes, le Conseil d’Etat avait considéré que les dispositions d’un décret de 2018 relatif aux éoliennes terrestres et à l’autorisation environnementale n’emportaient pas une régression de la protection de l'environnement et avait donc rejeté la requête des associations (Conseil d’Etat, 3 avril 2020, n° 426841).

La méconnaissance du principe de non-regression a été condamnée à de nombreuses reprises par les juges, le plus souvent dans des affaires de protection des animaux. Pour ce qui est des nuisances sonores, en 2003, la Cour européenne des droits de l'homme a condamné le Royaume-Uni pour avoir autorisé une augmentation du niveau des nuisances sonores de l’aéroport de Heathrow pour les vols de nuit, sans pouvoir justifier de la contribution de l'augmentation du trafic aérien au bien-être économique du pays. Par ailleurs, la cour a souligné la carence de ces autorités qui n'avaient fait effectuer ni étude d'impact, ni étude globale permettant de trouver des solutions. La Haute Juridiction avait insisté sur l'obligation des États, au titre de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, de limiter au minimum les nuisances et de trouver des solutions (CEDH, 8 juillet 2003, n° 36022/97).

Conseil d'Etat, 2ème et 7ème chambres réunies, 9 juillet 2021, n° 439195

Une question sur le bruit ?