Dans un article paru dans le dernier numéro de la revue trimestrielle Echo Bruit, Laurent LEYLEKIAN, coordinateur du projet ANIMA à la Direction des Affaires Internationales (ONERA), nous parle du projet ANIMA, qui fournit des pistes pour mieux aborder la gêne due au bruit des avions. Il milite pour l’adoption de bonnes pratiques qui dérogent à la traditionnelle vision tout-technique pour réaffirmer la prééminence de mécanismes démocratiques de consultation des populations.

Les réponses - même encore provisoires - confirment des éléments déjà connus des spécialistes mais pas nécessairement des personnes affectées et elles tordent aussi le cou à certaines idées reçues. Ces réponses sont progressivement intégrées sur la « plateforme Bruit » du site internet d’ANIMA (www.anima-project.eu) afin de fournir un référentiel des « meilleures pratiques » à mettre en œuvre[1]. Quelles sont-elles ?
Tout d’abord les métriques acoustiques employées pour qualifier le bruit ne sont que très partiellement adéquates pour caractériser la gêne. Ces métriques sont issues de l’univers technique de l’ingénierie et servent à édicter des réglementations ; qu’il s’agisse de la règlementation relative à la certification des avions - en EPNdB - de celles servant à définir les Plans d’Exposition au Bruit (PEB) ou de Gêne Sonore (PGS) - en Lden - ou des objectifs politiques environnementaux souvent exprimés en dB(A) ou en EPNdB. Toutes ces métriques ont leurs raisons d’être - au premier chef desquelles celles d’être objectivement mesurables donc contrôlables et opposables, et moyennées afin de lisser les fluctuations en temps. Le problème est que personne n’a jamais été gêné par un bruit moyen sur un an ni même sur une semaine. Si les réglementations environnementales visant à réduire le bruit moyen restent indispensables, elles ne sont donc pas suffisantes pour traiter les effets négatifs du bruit sur l’homme.
Du reste, ces effets et leurs interactions mutuelles demandent à être précisés. La gêne qui empêche un adulte de se concentrer sur son travail n’est pas celle d’un enfant qui peine à apprendre ; ni celle qui empêche de profiter d’un barbecue entre amis dans le jardin ; ni celle par laquelle nous dormons mal ou sommes réveillés la nuit. Les éventuelles aggravations psychologiques (dépression, anxiété) ou physiologiques (hypertension, troubles cardiaques) mises en avant par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) sont confirmées par ANIMA via l’examen d’un large panel de travaux scientifiques récents[2]. Au-delà, ANIMA semble montrer - ce qui n’était pas nécessairement évident au départ - que la gêne à court terme et surtout les réveils occasionnés par le bruit la nuit agissent comme des médiateurs vers des troubles plus graves. Les autorités devraient donc traiter en priorité ce point, notamment en contingentant encore plus les effets de dépassements de seuils ou d’occurrence, en particulier en début et surtout en fin de nuit.
Par ailleurs, et c’est le point central, il est absolument crucial que les politiques d’intervention mises en œuvre par les aéroports correspondent aux attentes réelles des riverains ; de tous les riverains ! Au-delà de telle ou telle mesure particulière, c’est donc un processus de consultation démocratique qu’il s’agit de mettre en œuvre. Trop souvent, les mesures prises, le plus souvent de bonne foi et avec volontarisme, ne correspondent qu’aux a priori ou aux intérêts de leurs instigateurs, ou aux demandes des groupes les plus revendicatifs. Et trop souvent également, ces mesures ne sont pas évaluées dans le temps. Le cycle vertueux mis en place par certains aéroports consiste à consulter de manière structurée l’ensemble des parties prenantes, y compris celles qui bénéficient de la présence des aéroports et - défi de taille - la majorité silencieuse. Un dialogue réussi implique des règles transparentes et clairement énoncées dès le départ. Il suppose également que ceux qui en prennent l’initiative soit prêts à en adopter les conclusions. Autrement dit, le dialogue ne doit pas être un alibi pour ne rien faire ou - pire pour faire ce que l’on avait décidé au préalable - au risque d’accroître la défiance et ipso facto la gêne. Les débats doivent aussi être conduits en évitant tout jargon technique inutile ou toute position de surplomb mais en expliquant les conséquences des différentes options et ce en quoi certaines seraient impossibles à mettre en œuvre (notamment pour des raisons de sécurité). L’idée-maîtresse est de rechercher en permanence un consensus qui équilibre les différents intérêts, et non pas l’introuvable solution qui satisfasse chacun. Elle consiste aussi à évaluer en continu les politiques qui en découlent de façon à procéder à d’éventuelles corrections. Le consensus autour duquel s’agrègera une communauté de riverains dans une région donnée n’est pas nécessairement le même pour une autre région, surtout si les caractéristiques locales du trafic aérien tout comme le contexte culturel diffèrent substantiellement (la « nuit » ne commence pas à la même heure en Espagne et aux Pays-Bas !).
Enfin, ANIMA recommande que le règlement européen 598/2014 sur « l’introduction de restrictions d’exploitation liées au bruit dans les aéroports de l’Union, dans le cadre d’une approche équilibrée » soit mis en œuvre par les petits aéroports avant qu’ils n’atteignent le seuil fatidique de 50 000 mouvements par an. Cette prescription concerne surtout les pays d’Europe orientale où s’agrègent de nombreuses populations, habitations et infrastructures autour d’aéroports en forte croissance, synonymes d’emploi et d’amélioration du niveau de vie. Dans ces pays comme en France du reste, le peu de contrôle qu’ont les aéroports sur les politiques locales d’urbanisme les empêche de prendre des mesures préventives s’ils ne mettent pas la règlementation en œuvre au préalable, et les limite à des mesures correctives - donc moins efficaces - après. C’est là encore d’une question de politique publique dont il s’agit.
Afin d’aider les décideurs, ANIMA a mis au point différents outils destinés à accompagner la conduite du changement : simulation du bruit d’une flotte autour d’un aéroport, évaluation de l’environnement sonore et son impact sur la qualité de vie par smartphone ou visualisation immergée de modifications du trafic aérien (trajectoires et appareils) via un casque de réalité virtuelle. Ces outils pourront constituer des aides précieuses à la compréhension fine de la problématique et à sa dissémination. Comme tout outil cependant, ils ne se substitueront pas à l’établissement ou au rétablissement d’un dialogue citoyen c’est-à-dire, en dernier ressort, à la consolidation de la démocratie participative.
[1] La plupart des résultats détaillés et des publications scientifiques du projet ANIMA sont librement accessibles via le site Internet.
[2] En dépit des limitations précédemment pointées sur les niveaux intégrés, ANIMA soutient la recommandation de l’OMS de ne pas dépasser 45dBA Lden le jour et 40dBA Lnight la nuit.
Laurent LEYLEKIAN
Direction des Affaires Internationales - ONERA
Coordinateur du projet ANIMA