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Une société est-elle responsable des camions qui la livrent ?

Une entreprise est coupable de nuisances sonores causées au voisinage, du fait de son activité habituelle, même si elle n'est pas directement à l’origine du bruit. C'est la décision de la Cour de cassation du 7 mars dernier.

Les voisins d'une entreprise de logistique se sont plaints de nuisances sonores, allant jusqu'à faire intervenir un expert. Ce dernier a constaté sur place un dépassement important des valeurs limites d'émergence fixées par la réglementation (plus précisemment les articles R1336-7, R1336-8 et R1334-23 du Code de la santé publique). Il s'agissait du bruit émis par le passage de camions frigorifiques de livraison de fournisseurs stationnant sur la voie publique, à proximité de la société. Quotidiennement, celle-ci se faisait livrer et expédiait par des camions, des marchandises devant être conservées au froid, d'où la présence de compresseurs à l'origine des nuisances. Dans l'attente d'être chargés ou déchargés, ces camions stationnaient de nuit ou de jour, sans horaires contraints. La municipalité a tenté d'y mettre un terme en en interdisant par arrêté municipal le stationnement à certaines plages horaires interdiction de l'accès à la zone inudustrielle entre 22 heures et 7 heures). Elle a également fait intervenir plusieurs fois les policiers municipaux, et organisé des négociations amiables qui n'ont rien donné. L'affaire s'est donc retrouvée au tribunal.

Pour l'entreprise, nul n'est responsable pénalement que de son propre fait

Retenue coupable par le tribunal correctionnel, la société de logistique a fait appel. A l'époque, la société de logistique ne reconnait pas sa responsabilité pénale, puisque pour elle, les nuisances sont générées par les chargements et déchargements de sociétés extérieures (les fournisseurs), et non pas par sa propre activité. Par ailleurs, la société alerte sur le fait qu'elle ne dispose d'aucun pouvoir de contrôle et de direction à l'égard des chauffeurs de ses fournisseurs stationnés sur la voie publique. Aucun fait personnel ne pouvait donc le lui être reproché. La Cour d'appel de Chambéry ne l'entend pas de cette oreille et condamne l'entreprise à 5 000 euros d'amende pour infraction au Code de la santé publique (article R1336-5 : « la responsabilité légale de l'auteur des faits peut même aller plus loin que sa propre responsabilité personnelle »). La société se pourvoit alors en cassation.

A qui la faute ?

Petit rappel : pour juger responsable un prévenu, il faut que ce dernier soit à l'origine du bruit, soit par son fait personnel, soit par l'intermédiaire d'autrui. Mais attention, le prévenu est responsable du bruit généré par l'intermédiaire d'autrui seulement s'il en a le contrôle, c'est-à-dire, s'il est en mesure de prévenir ou de faire cesser les nuisances sonores. Pour la Cour d'appel, la société est parfaitement consciente de ces nuisances, puisqu'elle a engagé des travaux au niveau des aménagements des quais de chargement ou déchargement. En réalité, les nuisances proviennent principalement des compresseurs : l'expert a par exemple recommandé de prendre des mesures comme arrêter les compresseurs lors des chargements ou mettre en place des dispositifs d'insonorisation sur les compresseurs. Par ailleurs, la société est à l'origine des nuisances sonores puisque les va-et-vient de ces véhicules lui sont nécessaires pour exercer son activité et augmenter son chiffre d'affaires. La faute a donc bien été commise, dans l'interêt de la société, par son gérant, qui n'a en rien démontré ses efforts pour régler le problème.

La Cour de cassation donne raison à la Cour d'appel et reconnait ainsi deux choses : que la société est à l'origine des nuisances sonores, et qu'elle était en mesure de les prévenir. La société est condamnée à verser 2 500 euros au voisin.

Dans quels cas saisir le juge pénal ? Explications eu deux minutes ici.

Cour de cassation, Chambre criminelle, 7 mars 2023, n°22-80.743

Une question sur le bruit ?