Il appartient aux parents de trouver la juste mesure pour que le comportement de leurs enfants, de jour comme de nuit, ne soit pas de nature à perturber la vie des autres occupants de l'immeuble. C'est la décision de la Cour d'appel d'Angers du 28 février 2023.
En novembre 2018, un balleur de Mayenne prévient un couple de locataires qu'ils gênent la tranquillité de leurs voisins et leur rappelle le nécessaire respect de la loi et du règlement intérieur de l'immeuble. Les bruits de courses et cris d'enfants ne cessent pas et en janvier 2019, le bailleur les met en demeure de faire cesser les bruits de voisinage par courrier recommandé, sous peine d'expulsion. Le bailleur finit par assigner les locataires devant le tribunal judiciaire pour prononcer la résiliation du bail, ordonner leur expulsion et obtenir leur condamnation à payer une indemnité mensuelle d'occupation égale au loyer mensuel et aux charges, majorés de 50%. Le juge décide de prononcer l'expulsion des locataires sous deux mois. Le couple de locataires fait alors appel.
« Les pleurs des enfants dans un immeuble mal insonorisé, c'est normal »
Pour le couple de locataires, les nuisances sonores provoquées par les cris et pleurs des enfants ne constituent pas un trouble anormal de voisinage au regard de la destination des lieux, l'immeuble n'étant pas suffisamment insonorisé. En effet, la preuve des troubles du voisinage n'est pas rapportée par le bailleur. Seule une locataire se plaint des cris et des pleurs de leurs deux enfants. Par ailleurs, le caractère répétitif des nuisances n'est pas établi. Ils déclarent également qu'ils ne peuvent empêcher les pleurs et cris de leurs enfants. Enfin, le bailleur leur ayant proposé un autre logement, cela apporte la preuve que les cris des enfants constituent un trouble normal de voisinage et que chacun doit pouvoir vivre avec.
« L'anormalité des nuisances a été constatée sur place »
Le bailleur révèle quant à lui l'existence réelle de tapage diurne et nocturne généré par des bruits d'enfants, des éclats de voix dans le logement mais également dans les parties communes. Selon lui, les nuisances sonores ne sont pas déplorées par une seule locataire mais également par un autre occupant de l'immeuble. Par ailleurs, un constat des nuisances a été réalisé sur place par des agents médiateurs, qui avaient constaté par eux-mêmes des bruits de courses d'enfant, de pas, de coups dans les murs et dans les sols. A l'issue de cette visite, et après quatre enquêtes successives, les locataires refusaient toujours de faire le moindre effort. Le bailleur social conteste également tout défaut d'insonorisation de l'immeuble.
Pour rappel, le locataire a effectivement l'obligation d'user de la chose louée en bon père de famille et suivant la destination donnée par le bail (article 1728 du Code civil). Le bailleur peut, suivant les circonstances, faire résilier le bail si le preneur n'use pas de la chose louée raisonnablement (article 1729 du Code civil). En outre, le locataire a l'obligation d'user paisiblement des locaux suivant la destination qui leur a été donnée par le contrat de location (article 7 b de la loi du 6 juillet 1989).
Les parents responsables de leurs enfants
La Cour d'appel décide alors de trancher et reconnait que le bailleur a rapporté la preuve de nuisances constituant un trouble anormal de voisinage, et un manquement grave et réitéré des locataires à leur obligation légale de jouissance paisible des lieux loués. La résiliation du bail est par conséquent prononcée. La Cour tient compte d'un certain nombre de points pour établir sa décision :
- Les constatations sur les lieux des médiateurs objectivent les nuisances sonores, répétées sur plusieurs mois et provenant de l'appartement occupé par les concernés.
- Ces nuisances dépassent le niveau sonore généralement admis et excèdent largement les inconvénients acceptables de la vie au sein d'un habitat collectif.
- Ces nuisances ont perduré, malgré un avertissement par écrit, le passage à plusieurs reprises de médiateurs, une mise en demeure et des convocations.
- Le défaut d'isolation acoustique ou la mauvaise qualité acoustique du logement n'est pas prouvé par le couple.
A noter que les juges rappellent à juste titre que même si la locataire gênée a depuis déménagé, son départ de l'immeuble n'empêche pas la résiliation du bail, car le témoignage de cette locataire n'est pas isolé et les troubles rapportés par cette dernière sont confirmés par des constats effectués sur place et extérieurs à elle.
Concernant particulièrement les bruits générés par les enfants, pour le juge, les parents ne peuvent invoquer l'impossibilité d'empêcher systématiquement leurs deux enfants de pleurer, crier ou courir dans l'appartement. Il leur appartient de trouver la juste mesure pour que leur comportement, de jour comme de nuit, ne soit pas de nature à perturber la vie des autres occupants de l'immeuble.
Que dit la jurisprudence ?
Une jurisprudence constante évoque le fait que les bruits des enfants jouant dans l’appartement du dessus étant instantanés, accidentels ou imprévus, ils ne peuvent constituer un trouble anormal car ils correspondent aux nuisances inhérentes à la vie dans un immeuble (pour exemple : Cour d’appel de Paris, 11 mai 1994). Généralement, pour les juges, les jeux et les cris d’enfants font partie des actes de la vie courante que chacun doit supporter lorsqu’il vit dans un lieu collectif. Il est possible que ces inconvénients aient été amplifiés par le manque d’isolation acoustique entre deux appartements contigus, mais, dans ce cas, un tel problème n’est pas imputable à la famille de la voisine locataire du logement voisin (pour exemple : Cour d’appel de Paris, chambre 3, 11 décembre 2020, RG n°18/18653). Et dans ces décisions, il fait souvent cas de logements anciens souffrant d'une mauvaise isolation acoustique (autre exemple : Cour de cassation, chambre civile 3, 19 mai 2016, n°15-17.357).
C'est une toute autre orientation que prennent ici les juges d'appel, mais qui n'est pas isolée. Le juge caractérise parfois un trouble anormal de voisinage du fait, notamment, du comportement anormal des enfants (exemple de l'utilisation par des enfants d’un toboggan dans un appartement - Tribunal d’Instance du XIIème arrondissement de Paris, 22 juin 2017, n°11-16-000447 - pour en savoir plus, télécharger la fiche n° 20). Il en est de même concernant la responsabilité des parents : dans une affaire récente, un père de famille et propriétaire n'avait pas agit auprès de ses enfants pour faire cesser le tapage nocturne qui a provoqué un trouble de la tranquillité d'autrui en raison de son heure tardive. Il s'était rendu complice de l'infraction (Cour de cassation, chambre criminelle, 26 février 2020, n°19-80.641 - pour plus d'information, télécharger la fiche n°36).
Quid des cours d'écoles ?
Évidemment, pour les cris d'enfants d'une école ou d'une cour de récréation, s'applique une toute autre réglementation, celle encadrant les bruits d'activités professionnelles et de loisirs, qui fixe des valeurs d'émergence à respecter, exprimées en décibels. Dans ce cas, la responsabilité de la personne publique, le plus souvent la commune, peut être engagée. Au delà du respect des émergences, le maire peut agir en limitant le nombre de sorties à l'extérieur des enfants, la durée des récréations etc.
Dans une affaire de 2014, les nuisances avaient été réduites de manière significative par la limitation de la durée et de la fréquence des récréations : les troubles subsistant devaient alors être considerés comme inhérents au fonctionnement d'une école communale (Cour administrative d'appel de Versailles, 5ème chambre, 26 juin 2014, n°12VE02158). Dans une affaire de 2013, malgré des mesures acoustiques mettant en évidence un dépassement d'émergence, deux récréations quotidiennes de 20 minutes ne suffisaient pas, pour le juge, à prouver un accroissement des nuisances sonores (Cour administrative d'appel de Lyon, 4ème chambre, 17 janvier 2013, n°12LY00984).
Il faut toutefois distinguer les sources de bruit en provenance de ces établissements. En 1990, la Cour administrative d’appel de Nancy avait confirmé que le bruit occasionné par les évolutions des enfants fréquentant l’école maternelle n’excédait pas les inconvénients que doivent normalement supporter sans indemnité, dans l’intérêt général, les riverains ou voisins d’ouvrages publics. Par contre, le gymnase, comportant un terrain de basket et une piste de 45 mètres, était utilisé de façon extra-scolaire pendant les vacances, les week-end, le soir jusqu’à 22 heures. Le tribunal a considéré que la forte résonance du ballon, les cris des utilisateurs, constituaient des nuisances ouvrant droit à indemnisation. En conséquence de quoi les époux T. ont reçu de la ville de Reims une indemnité de 40 000 Fr. à titre de réparation des divers troubles ainsi que 4000 Fr. au titre de l’article L 8-1 du code des tribunaux administratifs (Cour administrative d’appel de Nancy, 20 octobre 1990).